De l’AAE à l’AAED – Acte Authentique Electronique Dématérialisé

Le décret n° 2020-395 du 3 avril 2020, paru au JO le 4 avril 2020, autorise l’acte notarié à distance pendant la période d’urgence sanitaire. Cette période doit courir jusqu’à la fin du mois de juin, mais il apparait d’ores et déjà évident que les dispositions prises lors d’une période d’urgence telle seront, au moins pour parties, maintenues dans le droit commun.

A ce sujet, écouter le Grand Entretien de France Inter avec François Sureau du 1er avril dernier

Ce nouveau décret, couplé à l’intervention du Président du Conseil Supérieur du Notariat, ouvre la boîte de Pandore : celle d’une numérisation totale de la relation notariale. Le conseil n’est plus transmis de la bouche à l’oreille mais par traitement dématérialisé. Certains y voient une disparition du rôle du notaire, d’autres y voient une véritable percée de modernité.

L’acte authentique électronique (traditionnel si l’on puit dire) permet, depuis près de 10 ans, aux notaires et aux clients de régulariser les accords via un procédé de signature électronique. Les signatures manuelles portées sur une tablette sont apposées sur un PDF, signé (au sens algorythmique) sous la forme d’un PDF-A par une clef USB de chiffrement matérialisant la signature du notaire.
Le PDF ainsi signé numériquement par la clef du notaire, génère une image de sa signature – utile en cas d’impression de l’acte, mais cela fausse par ailleurs la compréhension du mécanisme de chiffrement, il faut bien comprendre que la signature de l’acte n’est pas la copie manuscite de la signature du notaire, mais bien le certificat contenu dans le fichier natif – et garantie l’intégrité du fichier et des annexes liées.

Le contexte

Le Président du CSN, Jean-François HUMBERT a fait l’objet, notamment sur Fracebook, d’une opposition assez forte sur le principe même de l’AAED. Le CSN a dont publié diverses notes, dont l’une est directement l’objet de cet article.

Pour la compréhension des propos à venir, je rappelle les trois niveaux de certification de signature :

  • simple (lien par mail éventuellement couplé à une vérification par SMS) ;
  • avancé (lien par mail + sms + vérification de la pièce d’identité) ;
  • qualifiée (vérification de l’identité du signataire par un opérateur, le plus souvent par téléphone ou par webcam).

Dans son mail à l’ensemble des notaires de France du 24 mars 2020, le Président du CSN fait la présentation de différents prestataires garantissant le niveau eIDAS pour les signatures dites « avancées ». Il s’agit des process proposés (sic) par :

  • Docusign France
  • CertEurope
  • Universign
  • Yousign

Outre le fait que l’ordre des prestataires transmis dans le mail tend à laisser une chance plus importante au premier de la liste, il est à relever que le CSN indique volontairement le qualificatif « FRANCE » derrière le nom de Docusign. Cette dernière est une entreprise américaine, je ne saisis pas bien pour quelle raison le CSN considère que le fait d’indiquer France, serait un gage de qualité.

Force est de constater que chaque notaire a donc le choix du prestataire pour opérer une certification qualifiée, assurant donc un contrôle de l’identité du signataire. La procuration peut donc être signée en ligne par le client, puis transmise au notaire, toujours sous la forme d’un PDF-A (donc intégrant le certificat de signature, horodaté).
Le notaire use de ladite procuration pour régulariser l’acte, en la présence d’un clerc, représentant le client.

Il ne s’agit pas là d’un AAED, mais d’un AAE avec procuration numérique certifiée.

Les procédés techniques de l’AAED

Là où le gouverement, sous la pression d’une partie du notariat représentée par son Président, crée une véritable révolution (de modernité ?), c’est de par la signature de l’acte, à distance, par le client.

Le décret « d’exception » n°2020/395 paru au JO du 4 avril 2020 autorise la réception d’un acte notarié par le notaire seul, après avoir recueilli le consentement de ses clients à distance. Il ne s’agit donc pas véritablement d’un acte à distance, puisque l’acte est signé à l’étude, sans signature des clients. Forme de simulacre de technologie.

Afin de palier à l’absence de signature des clients et pour se garder la preuve de leur consentement, le CSN précise dans son mail du 4 avril, que seul le recours à la société Docusign ne pourra être retenu pour cette prestation, étant la seule société à proposer une solution de signature électronique qualifiée certifiée par l’ANSII. Le notaire devra par ailleurs conserver une attestation de signature des clients reconnaissant qu’ils ont bien donné leur accord.

Il est essentiel que les notaires reprennent très vite le contrôle des outils qu’ils utilisent. Après avoir cédé au SSII, éditeur des logiciels métiers qui gardent les notaires complètement captives, pratiquant des tarifs exhorbiants et facturant toujours + de « services » essentiels.

Le Notariat, s’il veut assurer sa survie devra – en plus de s’adapter au nouvelles méthodes de travail, de relation clients et d’évolution de la société – reprendre une indépendance technologique de toute urgence. Cela passe notamment par :

  • La mise en place d’un service notarial de certification qualifiée de signature des clients ;
  • La mise en place d’échanges sécurisés, les notaires disposent de clefs de chiffrement mais aucun ne l’utilise pour chiffrer ses échanges par mail …
  • Une véritable formation / sensibilisation aux outils de -télé- communication. Les notaires interragissent avec leurs clients au moyen d’outils très décriés (voir les affaires Zoom, Whatsapp …). Les documents sont échangés par Dropbox ou WeTransfer et toutes les données clients sont donc confiées à des tiers, sans aucune garantie RGPD (voir différents articles sur le Cloud Act – qui offre la possibilité au gouvernement américain de lire vos données).

Vincent BLIN – Notaire associé

Laisser un commentaire